Infections toxiques et contaminations fertiles de la littérature par le numérique

Alexandra Saemmer

De la virtualité, Rhizome, pp.44-77, 2022

À ses débuts, la littérature numérique se définissait en opposition aux mécanismes de coercition du dispositif livresque : la fixité de la page, la rigidité de la reliure, l’immobilité de la lettre. Elle prônait la fuite hors du livre comme un acte de libération permettant d’expérimenter une nouvelle matérialité du texte, animée et touchable. Ce potentiel est toujours là, et toujours sous-exploré : même dans des œuvres hautement expérimentales, comme la traduction « pirate » d’Ulysses de James Joyce par Guillaume Vissac publiée au fil de l’eau sur Twitter32, l’hyperlien se trouve par exemple cantonné à une fonction de renvoi documentaire, alors qu’il pourrait contribuer à miner chaque mot de l’intérieur, par l’ouverture à des références parfois concomitantes, parfois antinomiques. De même, l’animation textuelle, après une phase d’exploration facilitée par le software Flash (voir The Dreamlife of letters de Brian Kim Stefans33, impressionnant réservoir des possibilités), se cantonne aujourd’hui au régime d’alerte basique du blink. C’est comme si le cœur n’y était plus, depuis que les content management systems ont uniformisé l’apparence des sites web et rendu difficile l’intégration de fantaisies multimédiatiques. Alors que certains potentiels du texte numérique resteront peut-être définitivement lettre morte, d’autres se déploient pourtant, à l’intérieur des dispositifs numériques, mais surtout en dehors : le livre leur prête refuge, les salles de spectacle aussi. Je parlerais ici d’une contamination fertile, qui agit sur la langue à la dérobée, la met à l’abri des processus hégémoniques qui visent à réduire les modes d’expression et de pensée, pour recouvrir une forme de rusticité perdue. Ce processus de dégel prend toutes sortes de formes, la redécouverte de la lettre manuscrite, des verlan réinventés (Paname underground de Zarca34), des petites traces poétiques improbables laissées au milieu du terroir de jeuvideo.com, des éclats de présence fugitifs sur les plateformes (les posts du profil Brice Quarante sur Facebook restent à peine quelques minutes pour éviter leur archivage); dans le récit Tomates de Nathalie Quintane35, où les notes de bas de page prolifèrent comme des pousses sauvages (l’hyperlien déployant son potentiel rhizomatique dans un livre, finalement); dans la redécouverte de l’oralité originelle de la littérature, un d’art de raconter des histoires loin des schémas éculés et ficelles marchandes du storytelling

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Saemmer, A. (2022). Infections toxiques et contaminations fertiles de la littérature par le numérique. https://hal.science/hal-03999048v1

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Saemmer, Alexandra. Infections Toxiques Et Contaminations Fertiles De La Littérature Par Le Numérique. Apr. 2022, https://hal.science/hal-03999048v1.

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Saemmer, Alexandra. 2022. “Infections Toxiques Et Contaminations Fertiles De La Littérature Par Le Numérique.” https://hal.science/hal-03999048v1.

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Saemmer, A. (2022) “Infections toxiques et contaminations fertiles de la littérature par le numérique.” Available at: https://hal.science/hal-03999048v1.

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SAEMMER, Alexandra, 2022. Infections toxiques et contaminations fertiles de la littérature par le numérique [en ligne]. April 2022. Disponible à l'adresse : https://hal.science/hal-03999048v1

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