Activités de la petite enfance (0-3 ans) : quelle place pour les écrans?

2014Sophie Jehel

[Rapport de recherche] UNAF. 2014

Cette enquête a été réalisée entre mars et aout 2014, autour de 25 situations d’enfants de moins de 4 ans, à travers des entretiens avec des parents et des professionnels de l’enfance résidant sur deux territoires, en Mayenne et en Ile-de-France. Elle visait à comprendre la place des écrans dans les activités des tout-petits et le niveau d’information des parents par rapport aux usages des écrans à cet âge. Les activités des enfants de 0 à 3 ans sont rapidement diversifiées. Les adultes qui en sont en charge savent construire ou se rendre dans des environnements adaptés qui leur permettent de développer l’éveil, la motricité, le langage mais aussi la sociabilité, ne serait-ce que pour préparer les jeunes enfants au contexte collectif de l’école. Les écrans font cependant assez rapidement partie de la vie des tout-petits, du fait des pratiques médiatiques de l’entourage, de la fratrie ou des parents, mais aussi du fait que certains parents les utilisent pour les distraire, voire les calmer, les récompenser, ou pour favoriser des apprentissages. Les jeunes parents utilisent de façon assez indifférenciée les écrans, téléviseur, ordinateur, voire tablette. Les parents nourrissent cependant des inquiétudes quant à l’impact des écrans sur le développement des jeunes enfants. Ils constatent et redoutent des formes de dépendance, des retards dans l’acquisition du langage, des problèmes oculaires, et construisent des médiations qui visent à limiter le temps d’exposition et à filtrer les contenus. Nous avons pu identifier quatre styles de médiation. Une médiation « médias-au-centre » qui fait des écrans une occupation privilégiée des tout-petits, leur servant d’ambiance de vie, au point que les activités non médiatiques en sont aussi imprégnées, à travers les jouets dérivés, les musiques, notamment. Une médiation « médias-intégrés » qui insère les moments passés avec les écrans au rythme quotidien des enfants. Les enfants avant 3 ans peuvent regarder les écrans trois fois par jour, mais les parents leur offrent aussi d’autres activités, sans lien avec les écrans. Selon la vigilance des parents, les durées d’exposition peuvent être élevées et atteindre aussi 2h30 par jour, les jours ordinaires. D’autres parents développent des styles de médiation parentale plus efficaces pour limiter les écrans, en évitant d’en faire une occupation régulière. Nous avons également distingué la médiation « médias-éducatifs » qui recourt occasionnellement à des activités éducatives à travers les écrans, pour favoriser des premiers apprentissages, lettres, mots, chiffres, couleurs, mais parfois aussi des découvertes à travers des documentaires animaliers, à partir d’applications spécifiques pour tablettes, ou d’autres écrans (téléviseur, ordinateur). D’autres parents cherchent à éviter les écrans dans la vie des enfants de 0 à 3 ans, à travers une médiation « médias-éloignés ». Comment comprendre de telles différences dans la médiation parentale ? Plusieurs facteurs ont pu être identifiés : l’information des parents quant à l’impact spécifique des écrans sur le développement cognitif jusqu’à 3 ans ; la disponibilité d’espaces physiques suffisants au domicile des parents; les ressources culturelles des parents pour proposer des activités variées aux plus jeunes. Le fait de disposer d’information sur le sujet est un des facteurs qui intervient dans la motivation des parents quant au choix du style de médiation. L’information des parents est relativement faible. Si peu d’entre eux ignorent le risque de dépendance aux écrans, l’impact sur l’élaboration du monde personnel de l’enfant est invoqué dans les médiations qui éloignent les écrans, la dépendance entre motricité et développement de l’intelligence du tout petit est pratiquement absente des raisonnements des parents. La première difficulté éducative est celle que représente un espace domestique très étroit. Plusieurs mères ont décrit des appartements dans lesquelles elles ne pouvaient isoler le tout petit pour dormir, voire lui laisser un espace suffisant pour jouer. Ce sont des femmes qui vivent seules ou en couple, mais dans une grande difficulté financière et une certaine insécurité affective. Pour les enfants qui vivent dans ces conditions, l’exposition médiatique est double, elle est à la fois liée à l’utilisation des écrans pour distraire et calmer l’enfant, permettre qu’il accepte de ne pas trop bouger, de ne pas trop déranger l’espace familial, mais elle est aussi due aux visionnages du reste de la famille auquel il ne peut être soustrait. Mais la contrainte de l’espace ne peut tout expliquer. Les facteurs culturels sont également déterminants. La construction de médiations qui font une large place aux médias ou au contraire qui cherchent à les éloigner dépend davantage de la capacité des parents à imaginer d’autres formes de plaisir à partager avec le tout petit, que de leur propre disposition vis-à-vis des images et des médias. Les 25 entretiens nous ont donc permis de constater des différences dans l’exposition des écrans entre les enfants des milieux populaires, plus volontiers placés devant les écrans, et les enfants des milieux favorisés, plus souvent mis à l’écart des médias. Échapper à la domination médiatique est plus souvent le fait des milieux favorisés, mais certaines mères issues des milieux intermédiaires ou populaires diplômés ont les savoir-faire qui leur permettent de favoriser des activités ou des espaces où les jeunes enfants peuvent élaborer leur monde personnel. Au-delà des savoir-faire acquis professionnellement, la disposition de certaines mères, issues de milieux intermédiaires ou populaires diplômés, comme des assistantes maternelles, à se former elles-mêmes favorise l’acquisition de ces savoir-faire à partir des lieux multi-accueil ou des crèches, par imitation de ce qui s’y fait et l’attention au « travail » du jeune enfant. Dans tous les milieux, les parents sont très demandeurs de centres multi-accueil dans lesquels ils peuvent venir avec des enfants d’âge différents. Certains aimeraient aussi pouvoir y avoir accès le week end. Les parents de jeunes enfants sont à la recherche de savoir-faire et de conseils pour stimuler le développement équilibré de leur enfant. Ils sont aussi à la recherche de spectacles de courte durée, lectures ou marionnettes, qui leur soient adaptés. La diminution du temps de visionnage des écrans des enfants de 0 à 3 ans nécessiterait la diffusion d’une information plus claire sur les motivations de cette recommandation, mais elle passe aussi et surtout par le renforcement de ce type d’aide.

Sophie Jehel. Activités de la petite enfance (0-3 ans) : quelle place pour les écrans?. [Rapport de recherche] UNAF. 2014. ⟨hal-02540641⟩ - lien externe

Citations

APA

Jehel, S. (2014). Activités de la petite enfance (0-3 ans) : quelle place pour les écrans? https://univ-paris8.hal.science/hal-02540641v1

MLA

Jehel, Sophie. Activités De La Petite Enfance (0-3 Ans) : Quelle Place Pour Les Écrans? Jan. 2014, https://univ-paris8.hal.science/hal-02540641v1.

Chicago

Jehel, Sophie. 2014. “Activités De La Petite Enfance (0-3 Ans) : Quelle Place Pour Les Écrans?” https://univ-paris8.hal.science/hal-02540641v1.

Harvard

Jehel, S. (2014) “Activités de la petite enfance (0-3 ans) : quelle place pour les écrans?” Available at: https://univ-paris8.hal.science/hal-02540641v1.

ISO 690

JEHEL, Sophie, 2014. Activités de la petite enfance (0-3 ans) : quelle place pour les écrans? [en ligne]. January 2014. Disponible à l'adresse : https://univ-paris8.hal.science/hal-02540641v1