Miami, plaque tournante de la musique latino-américaine. Entre diversité et uniformisation des produits culturels transnationaux

2013Alix Benistant

Communiquer dans un monde de normes. L'information et la communication dans les enjeux contemporains de la " mondialisation "., Mar 2012, Roubaix, France. pp.315

Aborder dans le titre l'objet de la musique latino-américaine sous l'angle de la singularité n'est pas neutre. Ce qui semble au premier abord évincer diversité et hétérogénéité des pratiques sud-américaines permet au contraire de mettre en exergue le rôle tout à fait singulier de Miami dans le marché de la musique " latino ". C'est en devenant le centre des échanges entre les deux Amériques que la ville s'est progressivement imposée comme capitale de l'entertainment pour l'Amérique latine. Les majors de l'industrie du disque, présentes avec leurs filiales " latino ", ont su créer, en se nourrissant des influences de la " périphérie ", un produit culturel hybride que les spécialistes et professionnels nomment le "Miami Sound". En intégrant des éléments musicaux issus de diverses influences latinoaméricaines, nord-américaines et européennes dans un seul et même contenu médiatique de masse, les labels de musique, relayés par de puissants moyens de diffusion tels MTV latino ou Univisión, la première chaîne hispanophone des États-Unis, ont fait de Miami la vitrine culturelle d'une identité latino-américaine hybride se présentant dès lors comme capable de transcender les différentes spécificités régionales du continent. Il s'agit d'abord de comprendre pourquoi et comment Miami est devenue cette " capitale culturelle de l'Amérique latine " (Yudice, 2003). En tant que " point de contact et d'échange (hub) " entre les Amériques (Girault, 1998), c'est grâce à l'afflux des grandes entreprises de la mode, de l'entertainment, de la communication et des médias qu'elle a obtenu cette position centrale, encouragée par une présence importante des capitaux et des banques du monde entier, très fortement attirés dès la fin des années 1970 par des politiques fiscales avantageuses. Cette réussite économique, que l'on doit en grande partie à la première vague d'émigrés de la révolution cubaine de 1958-59, débarqués avec une connaissance du monde des affaires et une capacité à nouer des liens commerciaux avec le continent sudaméricain, a largement contribué à l'éclosion de la ville sur le plan international et ainsi à attirer à la fois capitaux, investisseurs et populations. Cadres et professionnels de l'entertainment trouvent alors à Miami une terre d'accueil propice au développement de leur activité, soutenue par une main d'œuvre issue des vagues d'immigration des années 1970 et 1980 des populations pauvres de Cuba et du reste de l'Amérique latine. Ces phénomènes ancrant une base solide à un marché " latino " très prometteur pour l'industrie musicale, qui finit par y installer ses filiales latino-américaines au tout début des années 1990.Nous montrerons ensuite à quoi correspond ce "Miami Sound" et quelles ont été les stratégies des maisons de disques pour le promouvoir et en faire aujourd'hui l'un des marchés les plus rentables du secteur. Pour cela, nous nous pencherons sur le parcours du chanteur producteur cubano-américain Emilio Estefan, car il est l'un des précurseurs de cette fusion musicale " pop latino-étasunienne " caractéristique de Miami. C'est également lui qui, en s'effaçant derrière le succès de sa femme Gloria Estefan et de leur groupe le " Miami Sound Machine ", est devenu l'un des producteurs les plus actifs de la ville et a ainsi permis son développement et son éclosion sur la scène musicale internationale. Miami s'est alors érigée en lieu d'enregistrement, de production, de promotion et de diffusion incontournable pour la musique " latino ". Mais cela n'a pu se faire qu'avec l'installation des maisons de disques qui ont rapidement organisé la filière naissante. Sony est une de celles qui a perçu le plus tôt ce potentiel latino-américain et n'a cessé de développer le marché, grâce notamment aux talents d'Emilio et Gloria Estefan. Ainsi, nous montrerons en quoi la signature du chanteur en 1980 par Discos CBS International, une division de CBS Inc. basée à Miami, est un moment clé dans l'essor du chanteur, du label, et partant de la latin pop floridienne. Une stratégie transnationale à plusieurs échelles, que nous expliquerons à travers l'exemple du couple cubain, se développera alors pour devenir récurrente et se systématiser au sein de la major pendant les vingt années suivantes.Pour analyser ces phénomènes, nous nous appuierons sur la biographie qu'Emilio Estefan a récemment publié, ainsi que sur certaines des chansons clés de ce " Miami Sound ". Nous utiliserons également des articles de la presse professionnelle (du magazine Billboard, avec en particulier les articles de Leila Cobo, spécialiste de la musique latinoaméricaine) et généraliste de Miami (El Nuevo Herald, Miami Today). Les rapports annuels de l'IFPI et de Sony Corporation seront aussi mobilisés pour notre recherche. Enfin une dizaine d'entretiens que nous avons réalisé avec des producteurs, des musiciens et des professionnels du secteur entre septembre et décembre 2010 à Miami permettront d'étayer notre propos.Donc à travers tous ces éléments, nous nous intéresserons à la fois aux processus socio-économiques qui ont contribué à ériger Miami comme lieu privilégié de production de cette pop latino transnationale, ainsi qu'aux processus socio-culturels ayant permis le développement d'une culture hybride spécifique à Miami et essentiels pour comprendre aujourd'hui la place de la ville dans le marché de la musique latino-américaine. Pour conclure, nous nous demanderons si ce qui est créé depuis Miami, dans un fort contexte d'industrialisation, tend à uniformiser les formes d'expression latino-américaines, ou si au contraire la multiplicité des formes créatrices en provenance d'Amérique latine ne vient pas nourrir la diversité de l'offre musicale produite par l'oligopole des quatre grandes firmes transnationales installées à Miami, et en particulier par Sony music latin. Il semble intéressant de faire le pont entre une approche socio-économique du sujet, afin d'avoir conscience de l'environnement économique et industriel dans lequel s'est développé notre objet d'étude (Bouquillion, 2011 ; Burnett, 1996), et une vision plus socio-anthropologique, sous l'influence des travaux de George Yúdice qui a étudié l'industrie musicale latinoaméricaine et la place importante qu'occupe en son sein la ville de Miami. Enfin, dans cette même perspective, les écrits de Nestor García Canclini nous éclaireront sur ces phénomènes culturels et identitaires hybrides en cours entre l'Amérique latine et les États-Unis.

Alix Benistant. Miami, plaque tournante de la musique latino-américaine. Entre diversité et uniformisation des produits culturels transnationaux. Communiquer dans un monde de normes. L'information et la communication dans les enjeux contemporains de la " mondialisation "., Mar 2012, Roubaix, France. pp.315. ⟨hal-00835848v4⟩ - lien externe

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Benistant, A. (2013). Miami, plaque tournante de la musique latino-américaine. Entre diversité et uniformisation des produits culturels transnationaux. https://hal.univ-lille.fr/hal-00835848v4

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Benistant, Alix. Miami, Plaque Tournante De La Musique Latino-Américaine. Entre Diversité Et Uniformisation Des Produits Culturels Transnationaux. Mar. 2013, https://hal.univ-lille.fr/hal-00835848v4.

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Benistant, Alix. 2013. “Miami, Plaque Tournante De La Musique Latino-Américaine. Entre Diversité Et Uniformisation Des Produits Culturels Transnationaux.” https://hal.univ-lille.fr/hal-00835848v4.

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Benistant, A. (2013) “Miami, plaque tournante de la musique latino-américaine. Entre diversité et uniformisation des produits culturels transnationaux.” Available at: https://hal.univ-lille.fr/hal-00835848v4.

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BENISTANT, Alix, 2013. Miami, plaque tournante de la musique latino-américaine. Entre diversité et uniformisation des produits culturels transnationaux [en ligne]. March 2013. Disponible à l'adresse : https://hal.univ-lille.fr/hal-00835848v4